L'éternelle question à laquelle je suis confrontée depuis quelques années. Ok, la qualité de l'air est mauvaise. Dois-je reporter ma sortie running, est-ce que ça va s'améliorer dans les prochaines heures, dans les prochains jours, est-ce que je devrais aller courir en intérieur, est-ce que je dois porter un masque ? Est-ce pire de ne pas faire de sport du tout, ou de faire du sport lorsque l'air est pollué ?
La première fois que j'ai pris en compte le niveau de pollution pour décider si et quand aller courir, c'était pendant l'été 2018, quand je vivais à Paris. La France traversait une vague de chaleur (comme chaque été maintenant), et la capitale était en alerte ozone. J'entendais et lisais partout qu'il fallait éviter de faire du sport dehors à cause des risques d'irritation, respiratoires et cardiovasculaires. Je me souviens être allée courir le soir vers 21h (il faisait encore anormalement chaud), en espérant éviter le pic de pollution et en respirant par le nez (ce qui était assez difficile dans le parc des buttes Chaumont).
Malheureusement, ça n'a pas été ma seule expérience avec la pollution de l'air. J'ai commencé à m'intéresser sérieusement à la question après m'être installée à Hanoï, ville souvent classée dans le top 5 des villes les plus polluées du monde. J'ai également été confrontée à des niveaux de pollution alarmants à Kampala, à Dakar, et dans une moindre mesure, à Casablanca.
Faut-il pour autant renoncer à faire du sport en extérieur dans les villes polluées ? Voici des conseils pour survivre sans sacrifier votre sport préféré, basés sur mon humble expérience. On y va !
La course à pied aggrave-t-elle les effets de la pollution sur la santé ?
Important : Je ne suis ni scientifique ni professionnelle de santé. Je vous présente simplement une compilation de ce que j'ai pu trouver.
Bon, je vais essayer de ne pas être trop longue, mais il est essentiel de connaître quelques bases sur la pollution de l'air et ses effets sur la santé (pour éviter de courir à côté des bouchons comme le font les Ougandais, surtout quand les voitures datent des années 90).
On peut classer les polluants en deux catégories : les PM10 et les PM2.5, qui différencient les particules fines (Particulate Matter en anglais) en suspension dans l'air. Les PM10 sont de 10 microns ou moins et les PM2,5 de 2,5 microns ou moins. Plus la particule est petite, plus elle est difficile à filtrer, plus elle peut pénétrer profondément dans vos poumons et plus elle est dangereuse. Elles proviennent principalement des gaz d'échappement, des industries, de la combustion du charbon de bois et du bois (beaucoup de gens dans les pays asiatiques et africains cuisinent encore au charbon de bois, en Europe les cheminées sont des grosses émettrices de particules fines en hiver).
Quels sont les risques pour la santé associés à la pollution ?
- Les problèmes respiratoires : à court terme, un niveau élevé de pollution favorise le développement de symptômes respiratoires tels que la toux, l'asthme, l'irritation des poumons. A long terme, l'exposition à des niveaux élevés de particules fines augmente significativement la probabilité de développer des cancers du poumon (de 22%, selon cette étude). C'est pourquoi l'OMS a classé la pollution de l'air comme cancérigène certain pour l'homme.
- Maladies cardio-vasculaires : des chercheurs ont montré1 qu'un niveau élevé de particules fines est lié à des risques plus élevés de souffrir de maladies cardio-vasculaires (thrombose, accident vasculaire cérébral, crise cardiaque...) Cela s'explique par le fait que les particules fines favoriseraient un raidissement et une réduction du diamètre des artères.
Et qu'en est-il de la course à pied (me direz-vous) ?
Bon, la bonne nouvelle est que l'activité physique, la plupart du temps (comprenez : dans un environnement pas trop pollué), réduit considérablement les risques de maladies cardio-vasculaires et de problèmes respiratoires (ouf !). Le problème est que, lorsqu'il s'agit d'environnements à forte concentration de polluants, les études sont rares et quelque peu controversées pour déterminer si l'activité physique à fréquence modérée ou élevée (comme la course à pied) réduit ou amplifie ces risques. En d'autres termes, les effets positifs de la course à pied compensent-ils les effets négatifs de la pollution atmosphérique sur la santé, ou au contraire, l'activité physique les aggrave-t-elle ?
L'activité aérobie, y compris la course à pied, vous expose davantage à la pollution de l'air pour plusieurs raisons : vous respirez beaucoup plus fréquemment et inhalez une quantité d'air beaucoup plus importante, vous respirez plus profondément, ce qui fait que les particules pénètrent plus profondément dans vos poumons, et vous respirez (la plupart du temps) par la bouche, alors que le nez peut déjà filtrer certaines des plus grosses particules. Youpi ! Et ces effets sont plus importants chez les femmes qui pratiquent la course à pied (double youpi !).
Les effets néfastes de la pollution peuvent-ils donc annuler ou surpasser les bienfaits de l'activité physique ? Le débat est toujours ouvert. Une étude menée par des chercheurs de Hong Kong2 en 2019 n'a pas trouvé de causalité entre l'activité physique et les effets négatifs sur la santé dans un environnement pollué. L'activité physique serait bénéfique indépendamment de la qualité de l'air. Cependant, la dernière étude publiée en 2021 par des chercheurs coréens3 démontre bien que pour les jeunes adultes (20-39 ans) exposés à des niveaux élevés de pollution de l'air (49,92 et 26,46 μm/m3 ou plus pour les PM10 et les PM2,5 respectivement), une augmentation de l'activité physique "à plus de 1000 MET-min/semaine, ce qui est plus que les niveaux recommandés au niveau international pour l'activité physique, pourrait avoir des effets négatifs sur la santé cardiovasculaire (MET = "metabolic equivalent task"). Il s'agit d'un résultat important qui suggère que, contrairement aux personnes d'âge moyen de plus de 40 ans, une activité physique excessive n'est pas toujours bénéfique pour la santé cardiovasculaire des jeunes adultes lorsqu'ils sont exposés à des concentrations élevées de pollution atmosphérique." En revanche, l'étude montre qu'une augmentation de l'exercice physique dans un environnement faiblement ou modérément pollué réduit le risque de développer des maladies cardio-vasculaires. Les chercheurs concluent que lorsque les niveaux de pollution sont élevés, faire plus d'exercice que ce qui est recommandé (500-999 MET-mins/semaine selon la Société européenne de cardiologie) "peut compenser ou même inverser les effets bénéfiques".
Bonne nouvelle, 1000 minutes d'activité physique par semaine laissent une bonne marge pour faire du sport. En effet, même si cela inclut non seulement des sports comme la course à pied, le vélo (même lentement), mais aussi la marche à un rythme soutenu, la plupart d'entre nous (aficionados de la course à pied) ne dépasseraient probablement pas ces 1000 min/semaine. Par exemple, même si je me rends au travail à pied en marchant environ 45 min par jour, 5 jours par semaine, à un rythme soutenu, que j'ajoute deux séances de course à pied et une heure de natation, plus deux ou trois séances de renforcement musculaire (à condition que cela compte comme MET), je me situe aux alentours de 500 MET-min/semaine (encore ouf !).
Quoi qu'il en soit, même si la causalité entre pollution de l'air, l'activité aérobie et augmentation du risque de maladies cardio-vasculaires et respiratoires n'est pas encore très claire, soyons prudents et protégeons-nous. Vivre dans un environnement pollué reste préjudiciable dans tous les cas, activité physique ou non.
Donc c'est quoi le plan ?
Courir dans une ville polluée : solutions testées
Surveiller le niveau de pollution
Je dirais que le premier réflexe à avoir lorsqu'on vit dans une ville polluée est de vérifier le niveau de pollution avant d'aller courir. À l'époque, à Hanoï, je mettais à jour l'application une centaine de fois par jour pour savoir si je pouvais y aller, de 7h à 22h, et de même à Kampala ("seulement" dix fois par jour).
Où trouver des données (fiables) sur la pollution de l'air ? Le site IQAir et son application mobile correspondante fournissent des données sur la pollution de l'air dans un grand nombre de pays du monde entier, provenant de nombreux contributeurs locaux différents. Le score affiché est le résultat de l'addition des PM2,5 et des PM10. Vous pouvez épingler vos lieux favoris sur la page d'accueil, partager votre localisation pour obtenir les données les plus proches, et configurer vos différents environnements (domicile, travail, environnement extérieur) pour surveiller votre exposition quotidienne à la pollution. IQAir fournit également des recommandations (fermez vos fenêtres, ne faites pas de sport, etc.) et un classement en temps réel des villes les plus polluées dans le monde (mais POURQUOI la pollution à Hanoi est-elle si élevée alors qu'à Saigon c'est toujours modéré 😒). Cependant, lorsque vous vivez dans une petite ville et/ou dans certaines parties du monde (comprenez en Afrique), les contributeurs et les sources de données sont moins nombreux (la plupart du temps, il n'y a que l'ambassade américaine qui possède un capteur) et les données ne sont pas mises à jour aussi souvent. Dans ce cas, IQAir fournit une estimation satellitaire de la pollution de l'air, qui n'est pas aussi précise que les données collectées avec des capteurs.
J'ai la chance qu'en Ouganda, un projet local mené par l'université de Makerere fournisse des données en temps réel sur la qualité de l'air, via l'application mobile AirQo (update juillet 2023 : les données issues de AirQo sont maintenant directement publiées sur l'application IQAir !). De nombreux capteurs sont déjà déployés à Kampala, et quelques-uns dans les villes régionales. De nouveaux déploiements sont en cours et devraient continuer dans les années à venir en Ouganda et dans d'autres grandes villes africaine, notamment à Nairobi, Accra, Bujumbura et Lagos. Comment je l'utilise ? En fait, à Kampala, il est possible d'estimer le niveau de pollution en regardant par la fenêtre. Si le "brouillard" est si épais que vous ne pouvez pas voir la colline d'en face, c'est pas bon signe. Quoi qu'il en soit, je vérifie toujours le niveau de pollution de la zone où je cours quelques heures et minutes avant ma sortie : si c'est orange, rouge (ou violet 😢), je n'y vais pas ! Il en va de même pour la natation, puisque je nageais en plein air.
Heures, itinéraire, type de session
Quelques recommandations en apparence assez basiques et de bon sens, mais toujours bonnes à rappeler.
En général, évitez les heures de pointe, disons 6h30/7h-9h et 17h-19h. Plus facile à dire qu'à faire (je sais !) quand on travaille toute la journée. Si vous pouvez courir pendant la pause déjeuner, si vous êtes un lève-tôt (mais alors très tôt) ou si vous pouvez aller courir le soir (mais pas trop tard !), ce sont probablement les meilleures options. À Kampala, les dimanches sont parfaits car le il y a peu de circulation, et la pollution est souvent moindre. Sinon, en semaine, je vais souvent après le travail, c'est-à-dire vers 18h 😕.
On pourrait penser que la meilleure idée est d'aller courir pendant la nuit. En effet, il y a moins de circulation, il fait moins chaud. Mais dans les villes très polluées, on constate en réalité souvent une augmentation du niveau de pollution de l'air dès que la nuit tombe. Pourquoi ? D'abord, parce que lorsque la température diminue, l'air reste bloqué au niveau du sol (alors qu'avec la chaleur, l'air monte et se mélange...).4). Ensuite, parce que la plupart des plantes stoppent leur processus de photosynthèse en l'absence de lumière : elles n'absorbent plus de CO2 pour rejeter de l'oxygène. Enfin (ça dépend de la ville, mais c'était notamment le cas à Hanoï), beaucoup de poids lourds circulent, et certains chantiers de construction ont lieu pendant la nuit.
Concernant le parcours, mieux vaut éviter au maximum les grandes avenues où ça circule beaucoup pour privilégier les petites rues, ou si ce n'est pas possible (à un moment donné il faut parfois prendre ces grandes rues), essayer de rester le plus loin possible des voitures. En effet, les particules ont plutôt tendance à stagner autour de la zone où elles ont été émises. Rien qu'en restant sur le trottoir (là encore, ce n'est pas toujours possible dans les villes africaines), on réduit déjà considérablement la quantité de polluants inhalée. Et si vous vivez dans une ville avec des collines,montez !
En ce qui concerne la séance elle-même, courir à une intensité modérée réduit le débit et la fréquence respiratoires. On oublie donc le fractionné (eh oui, même si ça vous déchire le cœur) les jours de forte pollution. Faire des pauses pour marcher peut parfois être nécessaire pour réduire la fréquence respiratoire. Quand je courais à Hanoï, j'ai progressivement appris à respirer par le nez (le nez filtre les plus grosses particules et c'est un bon moyen de s'assurer que l'on ne respire pas trop profondément ni trop vite). Essayez en début de séance, ou dans les descentes, comme moyen de réduire la fréquence respiratoire. Encore une fois, plus facile à dire qu'à faire 'surtout si on n'habite pas dans une ville plate). On ne se met pas courir un 10 km en respirant par le nez du jour au lendemain. Cela demande du temps et de la patience !
Porter un masque
Oui, c'est pas vraiment comme ça qu'on aime courir. Et c'est pas très stylé (même si c'était toujours asse drôle de voir l'incompréhension des Ougandais que je croisais). Je porte un masque anti-pollution pour aller courir en dernier recours, si on traverse un épisode de plusieurs jours de pollution élevée, sans espoir d'amélioration de la qualité de l'air à court terme.
Mais tous les masques ne sont pas adaptés au sport. D'abord, le masque doit être efficace en termes de filtration des particules (oubliez les masques covid et les masques chirurgicaux faits maison, ils sont totalement inutiles). Choisissez un masque certifié FFP2 ou FFP3 (qui filtrent respectivement 95% et 99% des particules fines, N95 et N99 aux États-Unis, KN95 en Chine) qui s'adapte à votre morphologie pour être le plus étanche possible et empêcher l'air de rentrer. Le deuxième critère pour choisir son masque doit être la respirabilité. Le plus souvent, ces masques disposent de valves pour faciliter la respiration et assurer une filtration plus efficace. Évidemment, on ne peut pas courir à la même vitesse que d'habitude (on oublie le fractionné et les séances en côtes). Aussi respirant que puisse être un masque, on a toujours plus de mal à respirer, on est plus facilement essoufflé, on transpire davantage. Privilégiez les masques à deux valves, spécialement conçus pour le sport, qui vous permettent de retirer (et de changer) facilement le filtre pour laver la partie externe.
Je n'ai pas de marque spécifique recommander, j'utilise un Respro Ultralight et j'en suis assez contente, même si je l'utilise surtout au quotidien (pour marcher jusqu'au travail le matin, prendre un moto taxi...) plus que pour courir (encore une fois, la meilleure solution reste d'y aller quand la qualité de l'air est "raisonnable"). J'ai en fait d'abord cherché un masque anti-pollution "en général" qui soit efficace et réutilisable. Si je pouvais l'utiliser pour faire du sport, tant mieux. Le masque est assez respirant (en prenant en compte le niveau élevé de poussière et d'humidité de Kampala/Casablanca), bien que même en marchant, ça reste assez difficile de respirer par le nez (si vous avez une narine bouchée, oubliez tout de suite). L'avantage de ce masque est qu'il ne possède pas d'élastiques derrière les oreilles mais un genre d'attache qui se ferme derrière la nuque (ça assure une meilleure étanchéité et ça fait moins mal). C'est un investissement initial assez conséquent, mais le filtre dure plutôt longtemps (Tant que vous pouvez respirer sans trop forcer, pas besoin de le remplacer). Un bon conseil, faites en avance une réserve de filtres de rechange, car en fonction d'où vous habitez, pas facile de se faire livrer (j'aurais aimé remplacer le mien plus tôt, mais impossible de se faire livrer en Afrique, évidemment...)
Il existe d'autres bonnes marques que je n'ai pas testées, comme Base Camp, Vogmask, Airinum, ou encore Frogmask et R-PUR (des Frenchies !).
Les alternatives : natation, course sur tapis, renforcement musculaire ?
Vaut-il mieux préférer faire du sport à l'intérieur lorsque c'est trop pollué dehors ?
Comme d'habitude, ça dépend. Les piscines et les salles de sport peuvent être mal ventilées. Mieux vaut éviter si elles sont situées près d'une grande route ou d'une avenue où ça circule beaucoup. Enfin, surtout dans les pays en développement (les gens n'ont pas conscience de la pollution de l'air et le danger qu'elle peut représenter), les fenêtres des piscines et salles de sport sont souvent ouvertes, ce qui n'a aucun sens ! Mais si vous pouvez trouver un endroit moderne un peu à l'écart du trafic, alors ça peut effectivement être une bonne option (même si, franchement, courir sur un tapis est quand même hyper ennuyeux nan ?).
Autre option, profitez d'une pause dans vos sports de plein air pour renforcer faire du renforcement musculaire (du tronc, des jambes...). Votre technique de course sera plus efficace, et vous réduirez les risques de blessures.
Et vous quelles sont vos techniques et conseils pour courir dans une ville polluée ?